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Photo du rédacteurEstelle Poirier-Vannier

L'oeuvre d'une crise!

Dernière mise à jour : 26 sept. 2022

Dès le mois de mars, suite à la propagation rapide du virus du COVID-19 à travers les continents, les mesures prises par l’État ont entraîné le confinement de plusieurs pans de l’économie. Les institutions culturelles, tels que les cinémas, les salles de concert, les théâtres, les musées, les galeries d’art, les espaces artistiques, ont été forcées d’annuler leurs activités et de fermer leurs portes pour une durée indéterminée. La culture est alors entrée dans un état de profond sommeil. Qu’en est-il du côté de la création? A-t-elle subit les effets de ces mesures de distanciation et d’isolement social? De quelle façon les artistes ont-ils géré et répondu à cette crise sanitaire, sociale et économique?

La création en crise?

Les mesures de confinement mises en place par l’État pour lutter contre la propagation du virus a bousculé le quotidien de bien des gens. Les acquis des individus ont été remis en question au profit du bien-être de la collectivité. Les nouvelles réalités vécues par les Québécois ont suscité de nombreux questionnements et réflexions sur le système actuel. Les failles de ce système fragile ont soudainement émergées. La création artistique du temps du COVID-19 en porte les traces…

À cet effet, l’artiste-sculpteur Martial Déragon depuis 2018 et originaire de Drummondville, nous confie que la crise sanitaire que nous vivons a un impact important sur sa réflexion et sur sa démarche artistique. Par exemple, la crise sanitaire l’a poussé à réfléchir et à remettre en question son confort, ses privilèges et ses habitudes de consommation.

« Moi je suis dans une période où j’essaie de me détacher du matériel et d’évacuer. Et de vivre dans un milieu plutôt minimal, avec l’essentiel. Donc, je réfléchis beaucoup à pourquoi je le fais. […] Ce qui me rassure c’est que je n’achète pas du bois, je récupère du bois. Je défais un peu le cercle de consommation à travers ça. Mais c’est toujours un questionnement qui va me rester. »

Photographie Thibault Pansiot


Cet évènement historique représente-t-il un point de rupture ou un point de pivot vers une société dont les fondements seront plus axés sur le minimalisme, le local et le durable, plutôt que sur la consommation? Cette obsession de l’accumulation d’objets qui est centrale à nos sociétés occidentales est née sous l’influence du système économique capitaliste. La culture occidentale émerge de l’accumulation d’inventions et de réalisations. L’avoir est alors associé à la réussite sociale. Toutefois, cette activité compulsive de consommation qui définit notre société actuelle est-elle remise en cause par cette crise planétaire?

De l’art populaire traditionnel à l’art du confinement…

Avec la culture du confinement, de nouvelles réalités ont rapidement émergées. Les limitations de déplacement et les restrictions de contact ont favorisé un retour à l’être et une reconnexion avec son environnement de proximité. Ces nouvelles contraintes et modes de vie nous ont entraînés vers la recherche de nouveaux repères afin de se redéfinir en tant qu’individu, en tant que collectivité. Dans la création artistique, cela se reflète à travers un nouvel ancrage dans cette réalité proche, ce qui nous entoure et ce qui nous définit.

Chez Martial Déragon, cela se concrétise par de nouvelles représentations qui font écho à ce qu’il ressent, à ce qu’il voit et à ce qu’il vit en tant qu’individu. À ses débuts, la démarche artistique de Martial s’inscrivait davantage dans l’art populaire traditionnel. Il s’intéressait beaucoup aux formes animalières. Ses premières œuvres étaient plutôt naïves et se rattachaient beaucoup à la tradition. Il a produit plusieurs œuvres qui représentent des animaux domestiques ou sauvages. Sa pratique est très instinctive : il travaille sans esquisse préliminaire, ni préparation. Il fait surgir du bois le sujet qui y est caché. La sculpture se forme d’elle-même.



L’art populaire traditionnel se caractérise souvent par la représentation de scènes de vie traditionnelle. Il s’agit d’une façon de perpétuer de manière tangible des souvenirs liés à son milieu de vie, soit rural ou soit urbain. Les pièces ont rarement une fonction utilitaire. Les artistes ne cherchent pas à représenter la réalité ou à se conformer aux conventions sociales. Les œuvres associées à l’art populaire traditionnel portent souvent une certaine nostalgie du temps, un passé révolu. Les "gosseux"[1] tentent de réactualiser des paysages, des faits ou des légendes liés à une tradition ancienne.

Depuis la période de confinement, Martial s’est tourné vers une pratique qui fait davantage écho à sa réalité actuelle. Il réalise maintenant des œuvres qui renvoient à son quotidien et qui résonnent pour lui. Il cherche à intégrer son quotidien à sa pratique artistique. À titre d’exemple, il a reproduit une canette de bière comme symbole du confinement, période à laquelle il a multiplié les rencontres en visioconférence accompagné de cette boisson. Cet objet fait figure de lien social dans une période où les contacts physiques étaient restreints. Il rend compte de son quotidien pendant la crise sanitaire.


Il a également créé le portrait de deux personnages qui scandent des slogans lors de la manifestation contre le racisme et pour soutenir le mouvement social Black Lives Matter. Il a participé à ce rassemblement à Montréal et a été profondément touché par la cause. Ces protestations sociales l’ont amené à réfléchir et à se questionner sur ses privilèges qui sont souvent pris pour acquis. À travers cette œuvre, il fait écho à ce qu’il a observé, ainsi qu’au discours de soutien à la communauté afro-américaine. Il manifeste ainsi un certain engagement social envers cette communauté qui est souvent victime de discriminations raciales.


Les impacts réels du confinement sur la société restent à être mesurés dans les prochains mois. La production artistique de cette période portera les traces de ces questionnements, de ces réflexions et de ces transformations sociétales. Ces œuvres deviennent ainsi des archives ou des témoins de cet évènement historique et du contexte social vécu en temps de crise.

À suivre…


Pour connaître le travail de Martial Déragon, rendez-vous au Musée de la civilisation et au Centre culturel Le Griffon pour y découvrir ses œuvres lors des prochaines expositions.


[1] Gosseux : terme utilisé dans le folklore québécois pour signifier un sculpteur de bois. Il est souvent associé à l'art populaire.

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